Mon corps mis à nu

Article rédigé pour Don Giovanni à la MC93.


Le sol d’une piscine désaffectée. Probablement publique, à en croire les bandes tracées en rouge qui délimitent des couloirs dans lesquels les nageurs les plus téméraires peuvent enchaîner les longueurs sans risque de collision. Lorsque le metteur en scène Christophe Perton a proposé à Malgorzata Szczesniak d’imaginer la scénographie du Don Giovanni qu’il mettrait en scène pour l’Atelier Lyrique de l’Opéra national de Paris, la scénographe lui a tendu cette photographie, qu’elle avait chez elle depuis longtemps et dont elle avait oublié l’auteur.

Sans doute la piscine occupe-t-elle une place de choix parmi les mythologies du XXe siècle, tant l’imaginaire qu’elle charrie est lourd, tant le rituel qu’elle met en jeu nous semble familier et universel : les contorsions pour se déshabiller dans les cabines étroites, la douche, le goût du chlore, les corps qui se frôlent dans l’eau, l’érotisme et le plaisir mais aussi la gêne de s’exposer en public, la peur de se jeter à l’eau… Comme une évidence, ce lieu s’est imposé à Christophe Perton comme l’espace de Don Giovanni, le lieu où se jouerait la dernière journée du dissolu, cette course contre la mort dont l’aria “Fin ch’han dal vino…” est le précipité : “Il m’a semblé que cette course contre le temps s’annonçait très tôt lorsqu’au terme du corps-à-corps qui oppose la jeunesse de l’ange à la vieillesse du commandeur, Leporello regardant la scène finit par dire : – Qui est mort ? Vous ou le vieux ? Une question en forme d’exergue ?”

Le metteur en scène a conçu le spectacle comme un huis clos oppressant. Les coulisses sont à vue : “C’est très szczesniakien, commente Barbara Creutz, la scénographe à laquelle il revient de développer et faire vivre l’idée originale de Malgorzata Szczesniak, dont elle est la collaboratrice depuis huit ans. Les chanteurs ont beau quitter la scène, ils n’échappent jamais complètement aux yeux du public, ils ne s’extraient jamais du jeu des désirs.”En contemplant la maquette du décor, notre regard est stoppé au lointain par un mur qui barre la vue, et dont le blanc immaculé contraste violemment avec le sol suranné de la piscine : vierge de toute aspérité, il semble trop blanc pour être vrai : “Christophe tenait beaucoup à ce que nous conservions ce blanc éclatant, presque irréel, poursuit Barbara Creutz.

Face à un mythe tel que celui de Don Giovanni, qui irrigue depuis des siècles le théâtre, la littérature et l’art en général, grande est la tentation de l’archéologie : “Sur scène, j’aime représenter plusieurs strates – la piscine usée, le mur flambant neuf – et les faire dialoguer. De la même façon que la ville de Rome – où je vis – met en scène sa propre archéologie, ce dialogue à travers les âges : les architectures les plus récentes y côtoient les constructions de pierres les plus anciennes ; on aperçoit des chantiers de fouille à travers les vitrines du métro…” Comment ce mur blanc interagira avec la piscine ? Trop tôt pour le dire. Pour l’instant, ce dialogue reste ouvert. Une chose est sûre cependant, pendant le spectacle, cette surface verticale accueillera à deux reprises des projections vidéo réalisées par la scénographe : lors de la mort du commandeur et de sa vengeance finale.

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