Les groupes Medvedkine

Article rédigé à l’occasion d’une projection de courts-métrages réalisés par les Groupes Medvedkine, organisée par Anis Gras Arcueil.


1932, Alexandre Medvedkine parcourt l’Union soviétique à bord du ciné-train qu’il a aménagé pour la réalisation de courts-métrages. Il filme le peuple des villes et des campagnes, montant immédiatement les films dans son ciné-train afin de les projeter à la population dès le lendemain du tournage.

Décembre 1967, Chris Marker se rend à Besançon pour filmer la grève qui secoue Rhodiaceta. Dans l’usine qu’ils occupent depuis un an, les ouvriers ont recréé une vie sociale et culturelle, convaincus de l’importance de l’art pour changer la société. Le réalisateur filme ce que voient ses yeux, ajoutant ses commentaires en voix-off. Mais le film qui en résulte – À bientôt j’espère (1968) – accuse les limites de sa démarche : subjectivité du point de vue du réalisateur qui reste prisonnier de ses a priori, confiscation de la parole des ouvriers qui ne reconnaissent pas leurs vies dans le travail de Marker et lui adressent de virulentes critiques.

Face à ces critiques,  Chris Marker décide de tendre la caméra aux ouvriers, leur offrant la possibilité de filmer eux-mêmes leur quotidien en exprimant un regard inédit, de devenir les auteurs du récit de leurs propres vies. Ce geste inaugural – que raconte cette série de courts-métrages – inspirera les Groupes Medvedkine – que rejoindra par la suite Jean-Luc Godard. Marker ne cherche à esquiver ni les tensions ni les contradictions de sa démarche : il fixe sur une bande-son la scène lors de laquelle les ouvriers formulent leurs récriminations à son égard. Placé à la suite de son film, cet enregistrement devient un trait d’union entre la première partie, qu’il a réalisée, et la seconde, formée d’une multitudes de courts-métrages dont il laisse la réalisation à ceux qui n’étaient jusqu’alors que les personnages de sa fiction. En abdiquant son statut d’auteur, en leur abandonnant la caméra, il engendre une multitude de paroles nouvelles et plurielles. Les oeuvres qui en résultent n’annulent pas la sienne : elles la complètent et l’achèvent.

L’exemple le plus frappant nous est donné par Suzanne Zedet, figure du mouvement dont le court Classe de lutte dresse le portrait. Dans le film de Marker, cette ouvrière se réduisait au faire-valoir de son époux, contemplatrice silencieuse de ses confidences à la caméra. Elle faisait tapisserie, littéralement. On la découvre ici en leader du mouvement, en meneuse de troupe, en femme-orchestre qui s’affaire en coulisse pour imprimer des tracts et galvanise les foules.

Cette démarche est aujourd’hui essentielle  pour comprendre les possibilités d’émancipation politique qu’offre la création artistique : une création travaillée par la question de la représentation. Un art dont les forces concourent à créer les conditions d’une prise de parole collective.


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